L’utilisation de son temps
Si l’on part du postulat que “le temps c’est de l’argent” et qu’alors faire fortune devient l’un des objectifs ultimes de notre vie, le temps devient un métal rare nécessaire à l’enrichissement pécuniaire, une denrée à préserver. Chaque action doit être passée au tamis de l’efficacité.
Mais il y a danger à calculer chaque dépense de son temps. Une démarche égoïste se met machinalement en place et l’on cherche à rentabiliser chaque instant, chaque rencontre. Il n’y a pas de temps à perdre avec ce (ou ceux !) qui ne sert pas nos propres intérêts.
Ce rapport au caractère précieux du temps doit pourtant s’inverser. Oui mon temps est précieux : non pas pour servir mes propres ambitions mais pour répondre à un appel plus grand au don de soi.
Mon temps prend une valeur inestimable si je prends conscience du peu de temps que j’ai sur terre pour répondre à ma vocation. Si l’on se donne pour objectif de devenir la meilleure version de soi-même, d’être un homme bon et juste, il faut se mettre à l’ouvrage dès aujourd’hui. Et consacrer ses efforts, canaliser son énergie au service d’une belle et grande cause loin des futilités qui nous détournent l’esprit.
« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C’est le prophète saint prosterné devant l’arche,
C’est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre. »
Victor Hugo
Oui, mon temps est précieux car la vie est courte. Elle est courte pour se donner pleinement aux autres. Le paradoxe du don c’est que l’on reçoit toujours plus quand l’on donne. Plus on agit dans sa vie, plus le temps semble s’étirer et laisser toujours plus de place. Le rapport au temps apparaît dès lors très modulable en fonction de son rythme de vie. Dans une journée très chargée, 10 minutes de battement apparaissent comme 1h et, à l’inverse, dès lors que l’on procrastine plus que l’on ne vit, 1h de disponible passe comme une minute.
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Sortir du temps pour mieux vivre
Faire du temps un outil de générosité renforce son approche inestimable. Cela signifie aussi qu’il faut savoir casser les chronomètres et s’ennuyer comme un enfant. Prendre du recul sur sa vie pour mieux se recentrer. Prendre son temps. Il est si bon de contempler, de penser, d’être simplement présent à la vie. De sortir de la logique d’une fuite en avant pour prouver que la vie dépasse la notion de temporalité.
“Il faut ajouter de la vie aux jours, lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie”, cite Anne-Dauphine Julliand dans son livre Deux petits pas sur le sable mouillé pour témoigner de la vie de ses enfants touchés par la maladie et morts très jeunes. Anne-Dauphine et sa famille ont décidé de sortir de ce cadre horizontal du temps qui passe pour embrasser la verticalité de la vie.
Il y a un vrai risque à subir sa vie plutôt qu’à la vivre ! Vivre et non pas vivoter comme nous exhorte le Bienheureux Pier Giorgio Frassati. Nous pouvons voir à l’œil nu deux catégories d’hommes : ceux qui vivent et ceux qui survivent. Il suffit de voir de quelle manière les personnes abordent les événements du quotidien et le mystère de notre existence. Certains relèvent le défi qui nous est lancé et dépassent les frustrations dûes à nos limites humaines. Ils jouent le jeu à fond, ils rient fort, sourient à tout va, espèrent à en crever, chantent à tue-tête, ne cessent de voir en la vie humaine une chance, une joie, malgré les épreuves. D’autres, tels des grabataires avant l’heure, avancent en courbant déjà le dos. Ils ne prennent pas de risque par peur de jouer une fausse note. Mais ils en crèvent. Ils ne pensent qu’à l’intérêt matériel et limité de leur destinée. Ils ne souhaitent pas répondre à une vocation métaphysique et se complaisent dans du vide, roulant leurs bosses sans chercher plus loin un sens à ce qu’ils vivent.
Et ce n’est pas une notion de moyens ou de confort matériel mais d’état d’esprit : « Je partis dans les bois car je voulais vivre sans me hâter, vivre intensément et sucer toute la moelle secrète de la vie. Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie, pour ne pas, au soir de la vieillesse, découvrir que je n’avais pas vécu. » John Keating, Le cercle des poètes disparus.
La maîtrise du temps
Mais au-delà de cette utilisation du temps, considéré comme précieux, n’y a-t-il pas un loup dès l’origine ? Peu importe le qualitatif que l’on donne au temps. Ce dernier est-il vraiment nôtre ? Est-ce réellement “mon” temps ?
Le temps est en effet par essence incontrôlable. Implacable. D’où cette recherche de l’immortalité. Fontaine de jouvence ou transhumanisme, cette quête de la maîtrise du temps, ou de son dépassement, a fait tourner bien des têtes au cours de l’Histoire. Et ce n’est pas fini ! Par naïveté ou par peur, certains veulent éviter d’affronter la réalité de notre condition terrestre : nous sommes mortels et chaque seconde qui passe nous rapproche de notre lit de mort. Pardon Messieurs les apprentis sorciers, mais nous ne serons jamais le maître des horloges !
A vouloir mettre la main sur le battement des heures, on se ferme tant de portes. On ne garde plus le risque de l’inconnu, notre esprit n’est plus disponible à l’improvisation.
Cette violation du temps libre, de l’espace accordé aux mystères de la vie, est palpable dans notre société aux mille technologies. On a fait du temps une valeur marchande. On cherche à mercantiliser une donnée qu’on ne peut absolument pas maîtriser. C’est devenu pourtant aujourd’hui un objet rare que s’arrachent tous les commerciaux du monde entier : capter notre attention, une part de cerveau disponible, un temps passé sur leur application, derrière notre écran. Plus l’on donne de notre temps, plus le produit voit sa valeur grimper. Celui qui a le monopole du temps des autres devient le maître du monde. Il capte les esprits. On en vient à réduire à un vulgaire objectif commercial un cadeau d’éternité… fichu matérialisme qui contamine tout…
Il n’y a qu’à écouter Reed Hastings, le patron de Netflix : “Notre seul concurrent dans cette industrie, c’est le sommeil” ! C’est dire la confiance de ces acteurs du numériques sur notre dépendance aux écrans. Seule la limite humaine de la fatigue nous empêche d’être connectés en permanence. Notre propre corps nous protège…
Des gardes-fous nécessaires
Il faut pourtant savoir se libérer de son portable, de son ordinateur et de ses réseaux pour retrouver du temps. Plusieurs gardes fous sont envisageables :
- ne pas mettre son portable sur la table pendant un repas pour être pleinement disponible à ses voisins
- ne pas rentrer dans sa chambre avec son portable le soir avant d’aller se coucher pour ne pas perdre de temps de sommeil
- désactiver les applications réseaux sociaux avec leurs notifications sur son portable
- se désabonner des plateformes de streaming si nous y perdons trop de temps
- etc.
Malgré tout, il ne faut pas désespérer et chanter avec mélancolie que je n’aurai pas le temps. Il faut trouver dans le mystère de notre condition humaine la manière de mettre à profit intelligemment et avec cœur la vie qui nous est donnée.
Une action : Regarde tes 5 derniers jours pour voir quelle utilisation tu as fait de ton temps : vie professionnelle, vie personnelle, familiale, temps gratuit accordé aux autres etc. Et essaye de voir là où tu peux apprendre à sortir de la course effrénée de ta vie pour être plus disponible aux autres !